Que risque-t-on réellement si on utilise un service illégal ?


Faites-vous partie de ces 5,1 % de la population française qui a recours aux services d’IPTV (« Internet Protocol Television ») pirates ? Présentés sous la forme d’applications ou de box à brancher à son téléviseur, ces services de chaînes et de télévision par internet séduisent aujourd’hui de plus en plus pour leur prix et l’incroyable quantité de contenus qu’ils proposent. « Pour 35 euros par an, j’ai 60 000 chaînes du monde entier et des contenus à gogo », reconnaît Joël*, la quarantaine, et un passé de pirate discret, mais bien chargé. Cassettes, MP3, téléchargement, streaming, emule, torrents… « S’il y a toujours un moyen de trouver du contenu illégal, en toute sécurité », désormais, le passionné d’informatique s’est tourné vers ce type d’IPTV. Contrairement au téléchargement illégal auquel avait recours une petite partie de la population, explique-t-il, l’IPTV illégal ne séduirait pas que les bidouilleurs du Web.

Pourquoi ? Parce que « c’est incroyablement facile », répond William*, la trentaine, un fonctionnaire pas forcément à l’aise avec l’informatique, mais adepte du service depuis qu’un copain de fac lui a parlé de « la combine ». « J’ai fait un virement via Paypal, et j’ai reçu un boitier. La seule chose que j’ai eu à faire, c’est le raccorder à mon écran. C’est tellement pratique de tout avoir sur la même box : toutes les chaînes, toutes les plateformes à la demande, pour 10 euros par mois ». Chez Joël, pas de boitier, mais un simple lien M3U, envoyé sur WhatsApp, contre 35 euros par an. Les prix varient du simple ou triple, mais ils sont tous beaucoup moins élevés que le coût d’abonnements à plusieurs plateformes de streaming (l’IPTV légale) comme Netflix, ChromeCast, Canal Plus, Molotov, Amazon Prime, Paramount +, Disney +,RMC Sport…

Essai gratuit, service client… une offre qui s’est professionnalisée

À côté du bouche-à-oreilles, il suffit de se rendre sur des sites d’annonces entre particuliers secondaires pour tomber sur plusieurs propositions d’IPTV (illégal), vantant toutes la qualité et le professionnalisme de l’offre. N’allez pas en effet imaginer que l’IPTV pirate ressemble à une interface bricolée, avec un boitier qui n’inspirerait pas confiance. « Toutes les IPTV ne se valent pas », reconnaît William, soulagé d’être tombé sur une offre « sans bug et en 4K ».

Quelques mois plus tôt, il avait souscrit un autre service trouvé sur Snapchat, mais dont la qualité des vidéos laissait à désirer, explique-t-il. Les IPTV illégaux proposés se sont professionnalisés, à tel point que « tout est catalogué, extrêmement bien rangé, comme s’il s’agissait d’une véritable offre d’un opérateur officiel. On peut faire des essais gratuits à la journée. On peut payer plus ou moins cher en fonction de ce qu’on veut. Il y a un service client très réactif, joignable sur WhatsApp. Moi, c’est la NBA qui m’intéresse. Pour ceux qui veulent aussi accéder à des séries Netflix ou Paramount, il faut payer un peu plus cher », développe Joël.

« Les gens n’ont pas 150 balles par mois pour ça »

L’autre grande raison régulièrement invoquée pour expliquer le recours à ce type de service, c’est le morcellement des droits de diffusions du foot. Pour les passionnés, suivre une ligue ou une équipe reviendrait à payer des abonnements à Canal plus, BeIN sport, Amazon Prime, RMC Sport, soit… un bras. « Le prix des chaînes sportives ? Juste délirant », tacle Laurent*, un autre usager d’une quarantaine d’années qui a fini par souscrire à ce type de service uniquement pour suivre le foot. Mais le service est aussi plébiscité par les fans de séries et de films. « C’est devenu tellement cher, il existe tellement de plateformes : Netflix, Paramount +, Disney +, Amazon Prime… Les gens n’ont pas 150 balles par mois pour ça », avance William. Pour les personnes que nous avons interrogées, il n’y a que deux options : soit renoncer au foot et aux séries – donc au divertissement – soit opter pour un service illicite, c’est vrai, mais « pour lequel on ne se fera jamais choppé. L’équation est vite faite ».

Car il y a bien un sentiment général d’impunité chez tous les utilisateurs que nous avons interrogés. « Il y a tellement de gens qui y ont recours : des avocats, des chômeurs, des CSP+. Peut-être même des juges », plaisante William, qui estime ne pas avoir l’impression de faire quelque chose d’illégal. « Mais si j’apprends qu’il y a une répression, j’arrêterai », ajoute-t-il. Et quand on lui demande s’il sait que l’argent envoyé pour obtenir l’IPTV peut alimenter des trafics de drogue et d’êtres humains, le trentenaire est embarrassé. « C’est vrai, je ne sais pas ce que ça finance. Pour être honnête, je ne suis pas très à l’aise avec ça. Mais le service existe, il est super bien fait, super efficace. Ce serait presque con d’y renoncer », répond William. Et l’impact sur le secteur de la création, sur les ayants droit, les auteurs, les acteurs ? Là, le malaise est moindre. « Ce n’est pas ça qui va les faire couler. Ils s’en sortiront ».

Pour Joël, de toute façon, il n’y a aucun risque : « Le diffuseur n’a pas mon nom. Il n’a que mon numéro de téléphone sur WhatsApp. Et au pire, je perds la somme investie. On ne peut pas me retrouver ». Pourtant, outre la possibilité de vols de données personnelles pouvant déboucher sur des arnaques, l’usager peut être condamné s’il se fait attraper.

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Les autorités se concentrent sur les têtes de réseaux et les diffusions

En 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé que les fournisseurs de ces boîtiers et de ces services sont coupables de contrefaçon de droit d’auteur. Pour diffuser une œuvre comme une série, ou une compétition sportive, il faut avoir des droits de diffusion qui s’achètent à prix d’or. Quiconque passe outre cette règle risque tout de même trois ans de prison et 300 000 euros d’amende. Ces derniers mois, plusieurs revendeurs d’IPTV illégaux se sont fait arrêter et condamner dans l’Hexagone. Des réseaux entiers sont aussi démantelés.

Face au manque à gagner abyssal des ayants droit – estimé à un milliard d’euros par an pour la filière sport et 500 millions d’euros pour les chaînes de télévision – fournisseurs d’accès à internet et ayants droit se sont associés. L’Arcom peut désormais faire cesser plus facilement et rapidement la diffusion illégale de contenus. « C’est vrai que les matchs de foot sont beaucoup plus coupés qu’avant, en particulier depuis un an et demi », reconnaît David*, quarantenaire et utilisateur occasionnel d’IPTV pirate. Oui, mais les utilisateurs finaux, qui consomment ces services, que risquent-ils juridiquement ?

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Les utilisateurs coupables de recel de contrefaçon

« Les juridictions rappellent régulièrement qu’exploiter sans autorisation des ayants droits des contenus en ligne engage la responsabilité aussi bien du prestataire indélicat que de ses clients », souligne Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit du numérique. Pour les clients utilisateurs, on parle alors de « recel de contrefaçon », écrit-il en réponse à nos questions, exactement comme une personne qui possèderait un produit contrefait. Ces derniers risquent jusqu’à 300 000 euros d’amende et trois ans de prison. Et l’Arcom, qui a hérité des missions d’Hadopi, a bien les moyens d’identifier les utilisateurs finaux. Mais pour l’instant, les autorités françaises se focalisent surtout « sur les prestataires IPTV avec une “industrialisation” du blocage ».

Pour autant, « des procédures visant les utilisateurs pourraient voir le jour, dans la mesure où des saisies ont été effectuées, avec accès aux bases utilisateurs des prestataires », rappelle Maître Archambault. C’est déjà le cas dans certains pays, comme en Italie et en Grèce. Dans le premier cas, le législateur a mis en place une nouvelle amende pouvant aller jusqu’à 5 000 euros pour les utilisateurs d’IPTV illégale, qui représenteraient 23 % de la population, selon TorrentFreak. Dans le second, nos confrères ont simplement rappelé, le 6 décembre dernier, que 43 utilisateurs étaient poursuivis, sans donner davantage de détails.

Mais en France, les autorités préfèrent pour l’instant se concentrer sur les têtes des réseaux, les diffuseurs et la coupure de streamings d’événements sportifs – ce qui fait que les utilisateurs finaux échapperaient, jusqu’à preuve du contraire, à toute répression. Pourtant, « on sait qu’à un moment, ils vont siffler la fin de la récré, comme ça l’a été pour toutes les autres façons de pirater », reconnaît Joël. S’il y a toujours un temps de latence entre la technologie et les mesures répressives, les sommes en jeu sont désormais explosives, et les volumes de contenus illégaux très importants. « Avec le téléchargement, on a eu Hadopi. On sait que ça va aussi arriver pour l’IPTV ». Sous quelle forme ? Des amendes, quelques condamnations pour dissuader les autres ? Cela reste à voir. Mais pour Joël, cela ne signera pas la fin de la consommation illégale de vidéos. Car après l’IPTV, il y aura bien autre chose.

*Tous les prénoms des personnes interrogées ont été changés, à leur demande. 



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Catégorie article Technologies

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